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L’article 12 de la Charte de la Refondation au Niger : Débat épineux autour d’une politique linguistique dans un pays multilingue.

Depuis quelques jours, j’observe avec une grande attention le débat entourant une question brûlante qui est devenue récurrente et semble préoccuper profondément de nombreux compatriotes. Chacun y va de son interprétation, contribuant parfois à l’accroissement de la confusion déjà existante. Face à cette situation, il me paraît essentiel d’apporter une analyse juridique éclairée sous l’angle du constitutionnalisme.

 Afin de mettre en lumière les principes fondamentaux inscrits dans la « Charte de la Refondation », il est essentiel d’analyser et de comprendre ces principes qui doivent guider toute décision politique pendant cette période critique, pour s’assurer qu’elle soit alignée sur nos valeurs démocratiques et nos normes légales.

 La “Charte de la Refondation” est conçue comme un cadre réformateur visant à renforcer les institutions, garantir le respect des droits humains et promouvoir une gouvernance transparente et responsable. Ces objectifs sont cruciaux pour bâtir une société plus juste et équitable où chaque citoyen peut se sentir partie prenante du processus démocratique vers lequel on veut tendre.

L’article 12 de cette Charte énumère explicitement onze (11) langues parlées au Niger, reconnaissant ainsi une diversité linguistique. Il désigne spécifiquement le “hausa“ comme langue nationale, ce qui pourrait indiquer une volonté d’unifier certaines fonctions administratives ou éducatives sous une langue largement parlée. De plus, il introduit l’anglais aux côtés du français comme langues de travail. Cette addition suggère un alignement vers une ouverture internationale accrue et peut-être un effort pour renforcer les liens avec le monde anglophone en plus du contexte francophone traditionnel.

 Pour mieux comprendre les implications des dispositions de l’article 12 de la Charte de la Refondation, il est judicieux d’adopter une approche comparatiste avec l’ancienne Constitution, qui traitait toutes les langues sur un pied d’égalité. Cette égalité statutaire sous l’ancien régime reflétait une reconnaissance et une valorisation uniformes des diverses identités linguistiques au Niger. En revanche, le nouvel article 12 introduit des distinctions plus marquées entre les langues, ce qui suscite aujourd’hui certaines inquiétudes compte tenu de la grande diversité linguistique du pays.

Analyse Critique :

 L’étude comparée des articles 12 de la Charte de la Refondation et 5 de l’ancienne constitution du Niger offre un aperçu fascinant sur l’évolution des politiques linguistiques dans le pays, reflétant les changements dans les priorités nationales et les dynamiques socioculturelles.

 L’article 12 de la Charte crée une distinction claire entre “langue nationale” et “langues parlées”, tandis que l’article 5 de l’ancienne Constitution traitait toutes les langues sur un pied d’égalité légale en termes statutaires.

L’adoption du haoussa comme langue nationale est perçue par certains comme une tentative d’unifier les diverses communautés linguistiques du Niger sous une seule bannière linguistique pour renforcer l’unité nationale. Cependant, cela pourrait aussi être vu comme marginalisant les autres langues et cultures qui jouissaient auparavant d’un statut équivalent sous l’ancienne constitution, potentiellement exacerbant les tensions ethniques ou régionales.

 L’introduction d’une hiérarchie linguistique pourrait affecter le sentiment d’appartenance culturelle chez ceux dont les langues maternelles sont reléguées à un statut inférieur dans le cadre légal actuel. Cela pourrait entraîner une résistance ou même ressentir comme une forme de discrimination culturelle parmi certaines communautés ethnolinguistiques.

 A cet égard, les dispositions de l’article 12 de la Charte apparaissent critiquables en ce qu’elles remettent en cause la norme constitutionnelle qui établit le maintien de l’harmonie culturelle et linguistique au sein d’une nation aussi diverse : la reconnaissance et la promotion des langues. L’article 5 de l’ancienne Constitution établit un principe fondamental de coexistence pacifique et mutuelle entre divers groupes linguistiques en ce qu’il dispose que : « Toutes les communautés composant la Nation nigérienne jouissent de la liberté d’utiliser leurs langues en respectant celles des autres. Ces langues ont, en toute égalité, le statut de langues nationales. La loi fixe les modalités de leur promotion et de leur développement. La langue officielle est le français. »

 En accordant un statut égal à ces langues comme “langues nationales”, l’ancienne Constitution met en lumière l’importance vitale de chaque langue dans le tissu culturel du pays. Il reconnaît leur rôle non seulement comme moyen essentiel de communication mais aussi comme élément fondamental de l’identité culturelle des différentes communautés. Cette disposition constitutionnelle reflète une compréhension profonde que les langues sont bien plus que des outils pour dialoguer ; elles sont également porteuses d’histoires, de traditions, de valeurs et perspectives unique qui enrichissent collectivement la mosaïque culturelle du Niger.

 En reconnaissant activement chaque langue comme un élément essentiel de l’identité culturelle nationale, le constituant de 2010 a clairement opté pour le renforcement de l’unité nationale au Niger. Il permet aux différentes communautés linguistiques du pays de voir leurs identités respectives non seulement reconnues mais aussi respectées par l’État, tout en partageant une appartenance commune à la nation nigérienne. Cette politique contribue à créer un sentiment d’inclusion et de représentation parmi les divers groupes ethnolinguistiques.

 L’arrêt n° 2002-003/CC du 16 janvier 2002 rendu par la Cour constitutionnelle du Niger a marqué un tournant significatif dans la reconnaissance et la valorisation des langues nationales. Cette décision judiciaire a confirmé le statut de ces langues tel que défini par la Constitution, soulignant l’importance accordée à la diversité linguistique dans le cadre légal et constitutionnel nigérien. Cela reflète une compréhension profonde que langue et culture sont intrinsèquement liées, chaque langue offrant une perspective unique sur le monde ainsi qu’un moyen vital pour exprimer l’héritage culturel. En outre, cet arrêt illustre comment le système juridique peut jouer un rôle actif dans la préservation des traditions tout en favorisant l’intégration sociale et politique au sein d’une société diverse. Il met également en lumière comment les politiques linguistiques peuvent être utilisées pour promouvoir une plus grande équité entre les différentes communautés linguistiques au sein d’un État-nation. Ainsi, cette décision historique ne se contente pas de protéger les droits linguistiques ; elle encourage activement une vision inclusive du développement national qui respecte et célèbre sa richesse multiculturelle.

 Par ailleurs, alors que l’ancien article 5 prévoyait explicitement un cadre légal pour promouvoir toutes les langues reconnues, le nouvel article 12 semble moins précis à cet aspect, ce qui pose question quant à la continuité effective du soutien étatique vers la préservation de la diversité linguistique.

 En effet, bien que tous les deux articles cherchent à valoriser un multilinguisme au sein de la société nigérienne, ils diffèrent significativement selon leur approche et leur stratégie mise en place. Ces différences reflètent non seulement l’évolution contextuelle socio-politique et culturelle mais aussi des choix stratégiques fondamentaux quant à la gestion de la diversité culturelle complexe du tissu national nigérien.

 L’introduction explicite de l’anglais comme langue de travail aux côtés du français dans la nouvelle charte pourrait être vue soit comme une diversification pragmatique vis-à-vis des partenariats internationaux voire comme dilution potentielle du patrimoine francophone historique. En revanche, l’expression “langues de travail“ n’est en rien différente de “langue officielle’ jusque-là usitée. Dans les deux cas, ces langues sont adoptées pour les affaires publiques afin de préserver l’unité administrative de l’État. En adoptant une ou plusieurs langues de travail, le pays veille à assurer une cohésion dans la gestion étatique et faciliter les interactions avec d’autres nations ainsi que sur la scène internationale.

 En conclusion, bien que la rédaction du nouvel article 12 de la Charte puisse sembler être justifiée par les nécessités pratiques de gestion d’un Etat moderne, elle soulève des questions importantes concernant les droits culturels des minorités ainsi que la cohésion sociale à long terme. Une analyse minutieuse conséquences de cette politique s’avère donc essentielle afin de s’assurer qu’elle contribue véritablement au progrès collectif sans compromettre la richesse incroyable de la diversité au Niger. Parallèlement, en reconnaissant les différentes langues nationales sous l’empire de l’ancienne Constitution, le Niger affirme son engagement envers la préservation de ses richesses culturelles diverses. Cette politique linguistique permet aux différentes communautés du pays de maintenir leurs pratiques linguistiques traditionnelles tout en participant pleinement à la vie publique du pays. Cela contribue également à renforcer les sentiments d’appartenance et de fierté nationale parmi tous les citoyens.

 Ainsi, cette configuration reflète un modèle où multilinguisme institutionnalisé rime avec respect mutuel entre divers groupes ethnolinguistiques. Elle montre comment le Niger navigue habilement sa complexité interne tout en maintenant son engagement vers l’extérieur grâce au multilinguisme qui enrichit tant sa diplomatie que sa dynamique interne.

 En effet, la dualité linguistique au Niger, où la République reconnaît certaines langues pour les affaires officielles et administratives tandis que les communautés maintiennent leurs propres langues pour l’usage quotidien et culturel, illustre une approche équilibrée

qui valorise à la fois l’unité administrative du pays et sa riche diversité culturelle. Cette configuration permet d’une part de garantir que le gouvernement fonctionne de manière cohérente et efficace avec des langues de travail communes telles que le français et désormais l’anglais. D’autre part, elle respecte et célèbre les identités multiples qui composent le tissu national en donnant aux différentes communautés linguistiques la liberté d’utiliser leurs propres langues. Cela contribue non seulement à préserver ces cultures mais aussi à renforcer un sentiment d’appartenance nationale parmi toutes les ethnies. Cependant, cette politique nécessite une gestion attentive pour s’assurer qu’elle ne crée pas de divisions ou ne favorise pas certains groupes au détriment des autres. Il est crucial que toutes les dispositions légales liées aux droits linguistiques soient appliquées avec justice et équité afin d’éviter toute marginalisation des communautés dont les langues ne sont pas reconnues comme langue nationale ou langue de travail.

 L’introduction progressive du multilinguisme dans différents aspects du fonctionnement étatique peut également être envisagée comme moyen supplémentaire pour promouvoir encore plus inclusivité tout en répondant aux exigences pratiques modernes. Par exemple, offrir des services publics dans plusieurs grandes langues nationales pourrait améliorer significativement l’accès aux services gouvernementaux pour tous citoyens indépendamment de leur première langue maternelle.

Me Bachirou AMADOU ADAMOU

Avocat, Docteur en Droit

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